Je te déteste.
Le visage enfoui dans mon oreiller, je me retourne vers la table de nuit en grognant. Les yeux encore collés, j’attrape tant bien que mal mon téléphone. Étonnant qu’il n’ait pas encore sonné. Mon œil droit enfin ouvert, je me rends compte que l’alarme devrait sonner dans 5 minutes.
Je te déteste.
Le soleil filtre à travers la fenêtre floutée de la salle de bain. Il dessine ma silhouette sur le carrelage blanc. On me dirait presque humaine. Les nuages de vapeur dansent jusqu’à la bouche de ventilation pendant que l’eau brûlante ruisselle à travers moi.
Je te déteste.
Nue, j’observe mon corps difforme dans la glace. Plus je me vois, moins j’ai envie d’exister. Je pétris violemment ma chair comme si ça pouvait la faire disparaître. La peau labourée de vergetures, je passe le doigt sur chacune d’elle comme pour confirmer leur existence.
Je te déteste.
Je regarde le sol pendant que je fais le trajet à pieds jusqu’au bureau. En passant devant le chantier on entend les ouvriers rire à gorges déployées et vaquer à leurs occupations.
Je te déteste.
Le ciel bleu affiche encore les marques dorées abandonnées par l’aube. Chacun de mes souffles donne naissance à un petit nuage de vapeur qui s’échappe dans le ciel. Je souris bêtement.
Je te déteste.
Je baisse de nouveau la tête et je continue, un pied devant l’autre, les mains dans les poches. Le froid me mord le nez et les joues, les faisant rougir comme si j’étais une enfant qui avait joué dans la neige pendant des heures.
Je te déteste.
Enfoncée dans mon siège, ma souris parcourt les deux écrans inlassablement. Je vois des pieds monter et descendre les escaliers, faisant trembler la structure. Je lis et relis une phrase en boucle tout en regardant à travers l’écran.
Je te déteste.
Je passe 15 minutes à écrire, effacer et ré-écrire la même phrase, doutant de chacune de mes lettres. De toute façon je ne fais que de la merde. À quoi bon. La boule qui a élu domicile dans mon estomac grossit et commence à me compresser. Je ferme les yeux et m’enfonce encore plus dans mon siège. Je n’entends plus le bruit de la fourmilière.
Je te déteste.
Je ne suis plus ici, je suis sous l’eau, je me noie. J’essaie de nager jusqu’à la surface pour reprendre mon souffle, mais la remontée est sans fin. J’abandonne et je ferme les yeux. De toute façon je suis déjà morte.
Je te déteste.
Je ne sais pas comment je suis arrivée dans les toilettes, noyée de larmes, le souffle court. Je me concentre sur ma respiration en essayant de reprendre mes esprits. Je tremble, je pleure, je suis fatiguée.
Je te déteste.
Je retourne à ma place les yeux bouffis de chagrin et les épaules lourdes de fatigue. L’après-midi finit de passer entre un câlin réparateur de A et un regard furtif de P. Je secoue la tête pour me débarrasser de son image.
Je te déteste.
Emmaillotée dans ma couette et mon plaid, j’observe les fêlures qui parsèment mon plafond. Je les compte comme d’autres comptent les moutons.
Je te déteste.
Je te déteste.
Je te déteste.
Je te déteste.
Je te déteste.