Samedi 26 Janvier 2019, 16h40. Je suis assisse, perchée, sur un lit en train de taper sur mon ordinateur portable tenant en équilibre précaire sur une petite table. Je suis encore en pyjama et mon estomac est en train de me faire un concerto des plus déplaisants.
Il y a 3 semaines j’étais dans le train reliant Londres à Newcastle-Upon-Tyne, en train de me cogner les genoux dans le siège de devant. J’arrivais à 18h à Central Station dans ce qui deviendra, je l’espère, ma nouvelle hometown.
Deux semaines plus tôt j’apprenais que j’étais embauchée dans un centre de support d’une boîte de jeux-vidéo. Je dois avouer que j’en suis toujours aussi surprise. Mon entourage entier a manifesté une joie (et un soulagement) en apprenant la nouvelle. J’allais passer de récurer des chiottes pour gagner une misère à répondre à des e-mails et au téléphone pour un salaire décent.
J’avais appris la nouvelle le 14 Décembre et avais décidé de garder la surprise pour mes parents lorsque j’allais les revoir à Noël. Étant incapable de vocaliser quoique ce soit avec eux, j’avais entrepris d’écrire une petite carte dans laquelle j’annonçais mon départ imminent.
Quand ma mère a eu la carte, des points d’interrogation se sont dessinés au dessus de sa tête. Elle l’ouvre et commençe à lire. Puis elle se met à pleurer et donne la carte à mon père.
Je m’approche d’elle en lui demandant: “Alors t’es pas contente ?”
“Bien sûr que si je le suis, mais je suis triste aussi!”
“Allez c’est pas comme si on se voyait tous les jours, ça fait 4 ans que je suis plus à la maison !”
“Mais quand même !”
“Je sais Maman.”
Puis je la prends dans mes bras et l’embrasse.
Je retourne à ma place puis quelques minutes plus tard elle revient et me dit: “Va voir Papa, il est dehors en train de fumer une cigarette.”
“Ok”
Arrivée sur la terrasse, je vois mon père en train de fumer et de s’essuyer les yeux.
“Et bah alors ? Toi non plus t’es pas content ?”
Depuis la radiothérapie il porte un chapeau pour cacher le côté de son crâne devenu chauve.
Il se retourne et croasse: “Mais si !”
Puis il commence à pleurer. Je m’approche aussitôt et l’enlace.
“Tu sais, j’ai postulé sur un coup de tête, j’y croyais tellement pas que j’avais pas du tout prévu d’être embauchée. J’ai hésité avant d’accepter. J’avais pas envie de partir avec tout ce qu’il se passe. Dis, j’ai bien fait de dire oui ?”
“Bah oui que t’as bien fait.”
Il continue de pleurer.
“C’est pas si loin tu sais. Je pourrai vite revenir s’il se passe quelque chose. Et puis toi et Maman pourrez venir me voir quand je serai installée, ça vous fera sortir de votre trou !”
“Oui.”
Les semaines de 40 heures se font durement sentir. Moi qui avais pris l’habitude de faire des micro siestes entre deux postes.
Je dois me partager entre les appels à mes parents, ma tante, ma cousine, et donner des nouvelles aux autres membres de la famille et les amis.
A 21h tapante je suis en pyjama sous la couette à stresser sur la recherche de logement.
J’appelle mes parents un Dimanche. La veille ma mère m’avait envoyé un SMS tout impatient: “Alors ça va ???????!!!”
Je raconte par le menu ce que j’ai fait, les appartements visités, les choses vues, les gens rencontrés. Je demande comment ça va à la maison.
“Oh bah ça va, comme d’habitude.”
“Et Papa ?”
“Il a rendez-vous chez le médecin la semaine prochaine, avec les résultats de la prise de sang. Si c’est bon il pourra continuer la chimio.”
“Et le rendez-vous pour l’IRM ?”
“J’ai rappelé mais ils ont pas de place encore, ils donnent les rendez-vous au compte goutte, ils sont submergés.”
“Ok, tu me dis quand il l’a.”
“Oui ma chérie.”
Puis elle passe le téléphone à mon père à qui je demande comment ça va.
Il me répond que ça va, qu’il a fait une petite sieste mais qu’il n’est pas sorti aujourd’hui.
“De toute façon demain je dois aller faire ma prise de sang, donc ça en fera une de sortie.”
“Oui, faut prendre l’air quand même.”
“Oui.”
Il me demande comment ça va, si j’ai déjà réussi à vendre ma voiture, si j’ai fait des visites de logement, si la ville est bien.
Je réponds à chaque question et lui demande quand exactement il a rendez-vous chez le médecin.
Silence.
Il ne répond pas immédiatement mais je l’entends souffler.
“J’ai rendez-vous mercredi, je dois amener les résultats de la prise de sang. Je dois passer une IRM aussi.”
Puis il commence à pleurer.
“Ils vont me couper la tête j’en suis sûr.”
“Non ils vont pas te couper la tête, ils l’ont déjà fait de toute façon.”
“Je me bats tu sais, je me bats.”
“Je sais Papa. Ça va aller. Tu vas continuer de te battre hein ?”
“Oui.”
“Bien, et si tu as besoin de m’appeler le soir, fais-le. Je répondrais, d’accord ?”
“Oui.”
“Allez, je te laisse, gros bisous.”
“Bisous.”
Je raccroche et je commence à pleurer.
Je repense au mois d’Août, à mon père allongé dans son lit d’hôpital, une fermeture éclair lui parcourant le crâne.
Je pense à lui qui, j’en suis sûre, doit tout garder pour lui. Ses peurs, ses émotions, ses espoirs.
C’est de lui que j’ai hérité mon incapacité à exprimer mes émotions verbalement. C’est d’ailleurs pour ça que je les écris.
Je pense à l’avenir et je continue de pleurer.
Puis j’éteins la lumière et je lui envoie un SMS:
“Plein de bisous mon petit Papa. Tu t’es battu comme un chef jusque maintenant et il faut que tu continues. Je pue du cul au téléphone donc je préfère te l’écrire. J’aimerais être plus près de vous mais sache que je pense à toi tous les jours, ok ?
Je t’embrasse très fort ♥”
Il ne m’a pas répondu.
Il ne m’a pas appelé depuis.
Du sang c’est pas de l’eau.
PS: Sa prise de sang est bonne, il reprend la chimio à 400mg par jour pendant 5 jours et passe son IRM le 1er février.