And nothing is number one.
Jeudi 30 Août 2018, j’ai l’impression de flotter à l’intérieur de mon enveloppe corporéelle. Ces deux derniers mois ont été à la fois doux et violents, lents et supersoniques, sourds et lancinants.
Comme à chaque fois je suis démunie face à l’arrivée de la rentrée. Cette fois pourtant je sais où et avec qui je me retrouve, ce qui devrait me rassurer un peu, mais je suis encore en pleine digestion des évènements de ces dernières semaines.
Jeudi 16 Août 2018, 10h: Les rayons de soleil filtrent à travers les rideaux de la chambre, j’entends un “miaou” dans un coin.
J’ouvre un œil, puis l’autre, je vois Balthazar qui s’approche du lit et saute de son allure pataude pour venir à côté de moi. Je lui caresse le sommet du crâne tout en croassant: “Bonjour toi, t’as bien dormi ?”
Je retire ma main pour dévérouiller mon téléphone.
4 appels en absence de Maman.
Panique.
Fête des mères 2018, avec toute la famille. Je revois mes parents après quelques mois. Je redoute à chaque fois de les voir parce que je ne peux m’empêcher de voir sur leurs visages les années qui passent. Depuis le décès de Tonton j’ai cette peur panique qu’ils disparaissent subitement à leur tour.
Je me souviens quand Papa travaillait encore et qu’il partait en déplacement. J’écoutais religieusement les ronflements de ma mère, m’arrêtais de respirer lorsqu’elle avait une quinte de toux, et paniquais quand je n’entendais plus le bruit de sa respiration. Mon cœur se remettait en marche quand je pouvais enfin l’entendre à travers les murs de sa chambre.
Puis je pouvais vaquer à mes occupations nocturnes une fois que je pensais les quintes de toux finies. Elles ne l’étaient pourtant jamais à cause de son emphysème. Elles étaient pires en hiver, où j’étais au maximum de ma surveillance, me préparant à chaque fois au pire dans ma tête.
Je n’allais dormir qu’une fois ma mère réveillée, ma vie diurne mise entre parenthèses.
En ce mois de Mai 2018 je revis donc mon père. La mine fatiguée et le dos courbé, il me sourit avant de m’embrasser. On a beau avoir eu énormément d’accrochages par le passé, de par nos divergences politiques et morales, il y aura toujours une tendresse muette entre nous. Ses tempes sont plus grises, son dos plus courbé qu’avant, je le sens plus lent, plus absent. Toute la famille est contente de se revoir et on n’a pas vraiment le temps de discuter de beaucoup de choses. A part du fait que mon père s’est perdu plusieurs fois en voiture, il y a quelques semaines, quand il a dû aller à des obsèques.
A l’heure de partir il tire sur ma manche pour que je l’aide à enfiler son manteau, il a du mal à lever le bras gauche vers l’arrière.
Des points d’interrogation se sont formés dans mon cerveau.
Vendredi 27 Juillet 2018, mon petit cousin et sa copine célèbrent leur PACS et ont invité toute la famille. Je n’attends pas mes parents pour tout de suite parce que mon père a mis du temps pour prendre sa douche et qu’ils ont au moins 2 heures de route.
La soirée était assez décontractée, alors quand j’ai vu mon père arriver affublé d’un nouveau costume je suis allée voir ma mère tout de suite.
“Il a insisté pour acheter un nouveau costume parce que le sien ne lui allait plus et c’était l’occasion de le mettre.”
Plus courbé encore que la dernière fois, je ne le sentais pas à l’aise dans ses vêtements, il était à la fois rigide et mou. Je suis allée le voir pour lui demander comment ça allait. Il me dit qu’il est fatigué en ce moment, qu’il n’a plus le courage de rien et qu’il a mal à la tête presque tous les jours.
“C’est pas normal d’avoir mal à la tête tous les jours, tu as pris rendez-vous chez le docteur?”
“Ce sont des charlatans, c’est qu’un mal de crâne, je prends du doliprane et de l’ibuprofen.”
“J’espère que tu prends pas trop de doliprane, ça peut être nocif en trop grande quantité. Et vraiment, prends rendez-vous chez le médecin, ça dure depuis trop longtemps.”
“Oui, je ferai ça.”
Je l’observe toute la soirée et il est très effacé, souvent dans ses pensées, et ne se mêle pas trop au monde. Lui qui est le premier à faire des feintes à la con, à raconter ses histoires et amuser la galerie. Il danse un peu avec ma mère, chose assez rare pour être notée, entre elle qui s’essouffle facilement et lui qui a mal au dos.
Le lendemain au moment de partir, il me redemande de l’aider à enfiler sa veste. Je luis dis d’absolument voir un médecin
“Oui” qu’il me dit.
Week-end du 4-5 Août 2018, je passe chez mes parents avant d’aller à Paris. Mon père n’est pas encore là quand j’arrive, je discute donc avec ma mère.
Je lui demande si papa ça va.
“Oh bah il est toujours pareil, il s’endort beaucoup dans le canapé, il a encore mal au dos. On dirait papi un peu. Là il est allé chez me médecin normalement.”
Quand la voiture s’engage dans l’allée elle ajoute: “Regarde combien de temps il va mettre à sortir de la voiture.” avec un air moqueur.
Mon cœur se serre.
Je sors pour l’accueillir à la maison.
“Alors t’es allé chez le médecin ?”
“Le cabinet était fermé, il est en vacances je crois.”
“Bah va en voir un autre alors.”
“Ouais ouais, je vais prendre rendez-vous.”
“T’as fait quoi du coup ?”
“J’ai acheté un parfum pour l’anniversaire de Wil.”
“Ah cool !”
Je reste un peu dans le salon avec mes parents avant de monter dans ma chambre. Ca le fait pas trop de s’enfermer aussitôt arrivée.
Et puis bon, on se voit tellement peu que je peux bien rester en bas avec eux, entre la télé qui gueule et mon père qui somnole dans le canapé.
Il somnole dans le canapé ou dans le fauteuil devant l’ordinateur, le foot sur la télé et le tennis sur l’ordi.
Il me dit qu’il a acheté du bar pour faire au barbecue à midi demain.
“Ah mais je pars vers 13h demain, il faut que j’arrive en début d’après-midi.”
Je lis la déception sur son visage. Il faut savoir que le dimanche chez mes parents, midi ça veut plutôt dire 14h.
Je me couche tôt ce soir là, parce que j’avais pas beaucoup dormi la veille et que j’avais de la route à faire le lendemain.
Je descends pour aller aux toilettes vers 2h du matin, mon père est assis à l’ordinateur avec un pastis et regarde des vidéos de chanteurs morts.
“Va te coucher”
“Oui”
“A demain”
“A demain”
Je me lève le lendemain et prends ma douche immédiatement. Le robinet de la salle de bain goutte assez rapidement. Je vois quelques outils posés sur le comptoir juste à côté.
“Papa a acheté un nouveau robinet mais il l’a pas encore installé”
“Ah”
Je mange un bout et vais chercher mon sac dans ma chambre.
“Tu t’en vas déjà ? Je dois aller faire quelques courses, tu m’attends hein, je veux vérifier tes niveaux !”
“Tu veux pas qu’on les fasse maintenant plutôt ?”
“Bah pourquoi, j’en ai pas pour longtemps.”
“Bah je vais pas tarder donc c’est mieux.”
Là il regarde dans le vide, comme s’il ne m’écoutait pas.
“Papa!”
“Oui, oui, ok. Ouvre le capot”
Il me montre comment vérifier mes niveaux et regarde mes pneus. Il le fait à chaque fois que je viens à la maison en voiture, c’est une marque d’amour dans une famille où on ne verbalise pas grand chose.
J’embrasse mes parents et les serre fort dans mes bras. Je suis soulagée et triste à la fois.
Soulagée parce que je ne pourrais plus vivre avec eux, triste parce que je culpabilise de les laisser, comme si je les abandonnais.
Je monte dans la voiture, mets ma ceinture et mets le moteur en route. Je connecte le téléphone à mon auto-radio et lance le GPS.
Mes parents sont dans la cours et me regardent.
Je passe la tête par la fenêtre et dis à mon père:
“Prends rendez-vous chez le médecin, d’accord?”
“Oui”
Jeudi 16 Août 2018, 10h30: Après être passée par la case toilettes, lavage de mains et verre d’eau, je me décide enfin à rappeler ma mère.
“Allo?”
“Oui allo Cynthia ?”
“Oui Maman? Tu sais que je dors et que je suis en silencieux, ça sert à rien de m’appeler le matin!”
“Ouais bah je t’appellerais pas si c’était pas important!”
“Oui Maman, je sais. Qu’est ce qu’il se passe?”
“Papa a été opéré d’une tumeur au cerveau hier soir, là il est en soins intensifs, il est pas encore réveillé”
“PARDON?”
Je suis submergée.
“Je le savais! Je savais que quelque chose clochait, et toi qui te moquais de lui !”
“Oh c’est bon, tu crois pas que je culpabilise pas déjà assez ?”
“Mais attends, ça s’est bien passé ?”
“Oui le docteur a dit que ça s’est bien passé, ils ont pas pu tout enlever parce que la tumeur touchait de trop près un endroit important. Mais il a bien encaissé et il doit se réveiller soit cette après-midi soit demain. On va le voir avec Wil après, les visites commencent à 15h”
“Ok, il est à quel hôpital? Tu as appelé JC?”
“Oui je l’ai appelé à l’instant, il revient de ses vacances immédiatement.”
Mais …
“Mais attends… C’est quoi ce délire, pourquoi tu m’as pas appelée avant ?”
“Oh c’est bon ! On en reparle plus tard, je dois appeler Mamie là, à tout à l’heure.”
Mais ….
MAIS ….
Je me noie, je suis en colère, je suis en panique.
Je ne comprends pas ma mère.
J’ai envie de la rappeler pour lui signifier ma colère et mon incompréhension mais je me ravise, ça ne servira à rien de toute façon.
Je ne suis que frustration et panique. Je ne sais pas à qui en parler, vers qui aller pour déverser mon flot de colère et de chagrin. Je ne me suis jamais sentie aussi seule.
Je sens la crise d’angoisse poindre et me mets la tête entre les genoux.
J’ai passé tout le trajet à chialer, à essayer de voir la route entre mes larmes. Pas évident pour conduire, mais je suis en mode pilotage automatique.
J’arrive à l’hôpital à 15h et j’attends ma mère et mon frère.
“Mais pourquoi tu m’a rien dit avant ? J’aurais aimé le savoir qu’il allait se faire opérer, je serais venue hier !”
“Oh c’est bon, on était assez de deux à ne pas dormir cette nuit, à s’inquiéter, avec ton frère.”
“Mais non c’est pas bon !”
On arrive dans la chambre de réanimation. La moitié de sa tête a été rasée et une crête de gaze parcourt son crâne. Il est intubé et branché à d’innombrables perfusions et autres tuyaux. Une machine respire à sa place.
Il est réveillé. Je laisse ma mère l’embrasser et lui dire bonjour. Je laisse la place à mon frère aussi.
C’est à mon tour d’approcher, je lui dis bonjour et l’embrasse, puis je le regarde dans les yeux.
Je n’ai pas eu le temps de me préparer à le voir ainsi, si fragile, je me sens donc me briser en mille morceaux et fonds en larmes.
Je me retire vers le fond de la chambre en chuchotant “Je suis désolée”.
Et je resterai là au fond de la chambre pendant les 5h allouées aux visites, ne sachant pas quoi faire, ni dire.
Observant mon père essayer de parler malgré son intubation, frapper répétitivement la paroi de son lit avec son doigt.
Ca fait maintenant deux semaines qu’il s’est fait opérer.
Il est sorti une semaine après son opération parce qu’il s’en est bien remis. Le docteur a dit que c’était hallucinant qu’il ne soit pas tombé dans le coma avant. Son corps se battait tellement contre la tumeur qu’il avait cessé toute autre maintenance, il était rentré à l’hôpital avec une infection aux poumons et aux reins.
Il a une fermeture éclair sur le crâne et n’a toujours pas coupé le reste de ses cheveux pour les égaliser.
Mon frère m’a appris que mon père se doutait que quelque chose n’allait pas. Il avait fait des recherches à propos de ses symptômes.
On attend encore les résultats de l’analyse de sa tumeur, pour savoir si c’est bénin ou malin.
Parfois je me dis qu’il avait insisté pour acheter son costume parce qu’il était persuadé qu’il allait mourir bientôt.
Not today.